Warietta, l’enfant du rock qui s’abandonne dans les vapeurs synthétiques
Guillaume Marietta a l’art de bricoler des paysages sonores. Enfant du rock, le Messin navigue depuis plusieurs années à travers ses différents projets (Feeling of Love, Marietta, AH Kraken) dans des esthétiques folk, rock ou pop, où l’intime côtoie la noirceur et la mélancolie. Expérimentateur dans l’âme, il avoue être un « éternel débutant qui s’ennuie très vite ». Avec son nouveau projet Warietta, il vient de sortir l’album Handkuss Jesus, dans lequel il a délaissé les guitares pour plonger dans les vapeurs synthétiques. Propos recueillis par David Leprince. Photos : ©Alan Muller
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KR : Pourquoi ne pas avoir sorti ce projet sous le nom Marietta, comme tes précédents projets ?
Guillaume Marietta : Peu avant d’arriver à la fin de l’écriture et de l’enregistrement de l’album, j’ai senti que je m’étais beaucoup éloigné du son que j’avais construit avec Marietta. Même si mes albums ont toujours été assez différents les uns des autres, celui-ci s’annonçait un peu plus à part. Mais ça restait toujours moi, avec à peu près le même procédé de fabrication. Il fallait du changement dans la continuité. Je réfléchissais, sans trouver de solution, et soudain ça a fait « pop » dans ma tête : il suffisait de retourner le M pour qu’il se transforme en W. Ça correspondait aussi à une période (qui continue toujours d’ailleurs) de climat extrêmement anxiogène. L’avenir n’a jamais paru aussi incertain et sombre.
Et pourquoi avoir choisi cette direction artistique qui délaisse la guitare et lorgne plus vers la pop synthétique ?
C’est venu naturellement, sans réfléchir. Je n’arrivais tout simplement plus à composer à la guitare. Il fallait que je trouve autre chose. Je me suis tourné naturellement vers mon piano et mes synthés pour voir ce qui allait se passer. Je commençais par travailler sur de longs drones hypnotiques. Une fois qu’on s’immerge dedans, des pulsations et des motifs mélodiques peuvent se dessiner. Il faut alors se laisser guider par ce qui se passe dans la tête et le corps.
L’album a été écrit et enregistré au CHE à Metz. Quel est cet endroit ?
J’avais quitté Paris pour retourner vivre à Metz. Le CHE est un endroit secret doublé d’une entité magique que nous utilisons depuis plusieurs années avec mes anciens compagnons du groupe AH Kraken. C’était normal que j’y retourne. Il se trouve en périphérie de Metz, sous terre. Mais je n’en dirai pas plus.
Quels types de synthétiseurs as-tu utilisés sur Handkuss Jesus ?
J’ai utilisé mon Nord Wave, un microKORG XL, un Yamaha PSR-37 et un Korg M500. Des synthés que je traîne depuis des années. Je ne suis pas un malade de matos. Si je ne fais pas de musique, je préfère dessiner au lieu de passer des heures sur des forums. Je fais avec les moyens du bord, j’expérimente. Évidemment, je suis toujours à la recherche de nouvelles sonorités qui vont m’inspirer. Donc ça me demande parfois beaucoup de temps. Si j’étais plus au fait des possibilités de certains synthétiseurs, j’irais certainement plus vite. Mais ce sont des instruments qui coûtent tellement cher. Et bien souvent, leur son est très caractérisé. Je n’aime pas trop ça. Je préfère bidouiller des synthés et des pédales dépréciées et avoir mon son à moi, même s’il est pourri.
As-tu utilisé des boîtes à rythmes, déjà très présentes dans tes précédents albums ?
Toujours la même Boss DR-660 que j’ai depuis les débuts de The Feeling of Love. Autant dire un sacré paquet d’années. Quelques éléments de percussions du Yamaha PSR-37, cité plus haut, également. Je m’amuse à mélanger les Drum Kits entre eux et à les tordre dans tous les sens.
Y a-t-il des textures de synthétiseurs spécifiques que tu as explorés sur cet album ?
J’aime quand les textures sont le plus organique possible, que les sons grattent, que ça grouille. Souvent, ça va chercher dans le bas médium et c’est très chiant à mixer. Ça prend beaucoup de place et malheureusement j’ai tendance à en rajouter des couches et des couches comme un gamin qui joue dans la boue. Mais avec le temps, j’apprends à trier, à éliminer le superflu.
À travers tes différents groupes et projets, on a le sentiment que c’est à chaque fois la recherche d’expérimentation sonore et technique qui guide ton processus de création musicale. Est-ce le cas ?
Oui, tout à fait. Je suis un éternel débutant qui s’ennuie très vite. Je dois entretenir cette première étincelle qui s’est allumée en moi quand j’ai découvert la musique rock.
Pourquoi avoir créé ton propre label pour cette sortie et ne pas avoir choisi de sortir l’album chez Born Bad Records, avec qui tu as déjà collaboré ?
J’ai sorti cinq albums avec Born Bad Records et le label n’était pas intéressé par « Handkuss Jesus ». C’était peut-être le moment pour nous de faire les choses séparément. Puis j’ai bien senti que les autres labels indépendants français et étrangers que je contactais traversaient depuis quelque temps une période très compliquée. Ces labels ont perdu la foi quand on les écoute, car vendre des disques est devenu quasiment impossible. Quand j’ai vu que le groupe australien Exek (que j’adore) sortait son dernier album sur son propre label, ça m’a convaincu de faire de même.
Tu sors un autre album aux sonorités électroniques en 2023 sous le nom de Marietta, qui est la musique du documentaire « La Grande Triple Alliance Internationale de l’Est » que tu as co-réalisé avec Nicolas Drolc. Peux-tu nous en dire quelques mots sur ce projet et sur sa musique ?
Je suis un grand fan de musique et j’ai toujours dévoré (un peu moins maintenant) des livres sur le rock et ses multiples avatars. La littérature musicale anglo-saxonne (Greil Marcus, Nick Tosches, Lester Bangs, Nick Cohn, etc.) a réussi à mettre en lumière et à décortiquer finement ses différents courants et ses artistes undergrounds. Ça n’est pas le cas en France à mon sens, où simplement deux pôles se sont dessinés : un pôle Johnny (majoritaire et national) et un pôle Daho (le parrain de l’indé respectable et sans aspérité). Il existe des milliards d’autres artistes tout aussi excitants dont on ne parle jamais. On reparle enfin, en 2024, des Béruriers Noirs ! C’est dire ! N’étant pas journaliste rock, je ne pouvais que parler de ce que je connaissais intimement, de ce que j’avais vécu. Ces groupes et artistes que j’ai rencontrés et qui ont participé à l’émancipation culturelle et humaine d’énormément de personnes en France et en Europe dans les années 2000 et 2010. Et c’est encore le cas aujourd’hui quand, à la sortie de la projection du film, des gens du public nous disent que ça leur a donné l’envie de créer un groupe, un label ou des fanzines.
Bref, pour répondre à ta deuxième question, avant même que nous attaquions le montage du film, Nicolas et moi savions que l’aspect sonore du film serait primordial. Avec la musique des groupes présents à l’image, bien sûr, mais aussi dans la production d’un tapis sonore constant et grouillant, comme une fourmilière, représentant la Grande Triple Alliance Internationale de l’Est. Je désirais m’en charger, ce qui m’a certainement influencé par la suite pour l’album de Marietta. Nous avons aussi utilisé des morceaux écrits par Esse (mon acolyte dans The Feeling of Love et AH Kraken) qui s’inséraient parfaitement dans le film. Il n’y avait rien à retoucher.
Interview en version complète d’une version courte publiée dans la version papier de KR#372